Depuis 2003, le record du monde de Marathon a été pulvérisé 6 fois, 4 fois par des Kenyans. Les Kenyans trustent également les podiums mondiaux  sur 1500m, 5000m, et 10 000m. Le kenyan Denis Kimetto,  actuel détenteur du record mondial n’est pas dans l’équipe olympique de marathon, c’est dire le potentiel que représentent les kenyans en terme de course de fond.

 

Les Kenyans, sont-ils des surhommes ?

 

Le kenyan a-t-il le génome du Flash ?

Plusieurs théories scientifiques s’intéressent au génome des coureurs kenyans afin de dégager des raisons génétiques à cette suprématie. Un des éléments qui illustrent le mieux cette approche génétique est « le gêne du sprinter ».  Son nom barbare  scientifique est  ACTN, il synthétise la protéine Alpha-actinin 3 qui est responsable de l’assimilation de l’oxygène dans les fibres musculaires. Il est présent sur chaque branche du chromosome 11 sous différente version :   

-          La version « je-cours-pas-très-vite » (aussi appelée XX) : les deux copies du gène sont affectées par une mutation qui empêche la protéine de s’exprimer. In fine, le gène assimile moins bien l’oxygène et se dilate-contracte plus lentement.

 

-          La version « je-cours-normal » (aussi appelé RX) : une seule copie du gène est affectée par la mutation R577X, une seule version du gène synthétise donc la protéine.

 

-          La version « Usain Bolt » (aussi appelée RR) : la mutation n’est présente sur aucune des copies du gène, la protéine est donc plus longue, plus efficace, plus puissante et permet une meilleure explosion de la fibre musculaire. Vous l’avez deviné, c’est la combinaison génétique idéale pour courir vite


Les populations blanches possèdent majoritairement la forme faible, ce qui expliquerait leur performance  sportive moins spectaculaire. Contradiction majeure : la forme forte de ce gène est plus répandue chez les Kenyans alors que la forme moyenne est principalement répandue chez les Jamaïcains. Vous voyez le paradoxe ? Les Kenyans possèdent plus le « gène du sprinter » que les Jamaïcains. Selon la logique de cette thèse, les Kenyans ont des prédispositions génétiques pour la vitesse et les Jamaïcains pour l’endurance. PARADOXE.

La thèse s’effondre-t-elle pour autant ? Pas vraiment mais comme le dit Dr. Ross Tucker, professeur de physiologie à l’université de Cape Town en Afrique du Sud, la détermination d’un simple trait de caractère demande « hundreds, if not thousands of gene variants ». Quand on pense à la détermination de l’ensemble des caractéristiques d’un athlète « it’s a dizzying number of combinations » en d’autres termes : «  y’a tellement de trucs à prendre en compte que juste le gène du sprinter, c’est un peu short (ndlr)».

 

Le Kenyan  a–t-il le corps parfait ?

A random black bodybuilder that looks like 50cts

En s’intéressant aux particularités morphologiques des athlètes, peut-on dire que les kenyans ont un corps fait pour gagner des marathons ? Selon Véronique Billat, directrice du laboratoire d’étude de la physiologie de l’exercice à l’INSERN, « les performances physiques sont à 30% dues à des causes héréditaires et 70% à l’entrainement et à l’environnement ». Elle valide dans la foulée les travaux du chercheur danois Bengt Saltin sur la morphologie particulière des kenyans et éthiopiens. Selon lui, les mollets des coureurs africains sont beaucoup plus fins et pèsent en moyenne 400g de moins que ceux des danois, leur permettant d’avoir un « ramené » plus leste. On voit bien l’importance de la morphologie chez les coureurs. Ce n’est peut-être d’ailleurs pas un hasard si Christophe Lemaître est si rapide. Il possède les mêmes proportions physique qu’Usain Bolt, en termes de ratio jambe/tronc, tour des mollets et poignets.


Toutefois, nombreux sont les contre- exemples que nous fournissent les statistiques : Pierre Jean Vazel, entraîneur, a récolté les mensurations de plus de 300 athlètes ayant couru le 100m en moins de 10s30. Résultat : il ne semble y avoir aucune différence que ce soit en terme de poids, de taille, de fréquences des foulées ou bien de temps de réaction entre les sprinteurs noirs ou blancs. 


Une méthode d'entrainement miracle ?


La course résulte d'un subtil mélange entre pratique et entrainement technique. Les coureurs noirs semblent avoir troué la bonne alchimie : leurs méthodes et conditions d’entrainement sont à mille lieux de celles des européens. Comme le précise  Véronique Billat, l’altitude moyenne du Kenya est de 1850m, par conséquent les coureurs s’entrainant dans ces pays ont la capacité à consommer de l’oxygène avec un rendement supérieure aux athlètes européens qui pratiquent leur sport à des altitudes moins élevées. Carmen Oliveras (que l'on a rencontré !), championne olympique française de course de fond est allée s’entrainer au Kenya. Son constat : 3 entrainements par jour au Kenya (1 le matin, 1 a midi et 1 le soir) contre seulement 2 en France (1 le  matin et un le soir). Dans le domaine de la course de vitesse, Ivet Lalova, la sprinteuse caucasienne la plus rapide de l’histoire (10s77 au 100m) insiste sur les méthodes des sprinteurs noirs basées sur le « tempo endurance » c’est-à-dire la répétition de courses longues là où les européens se focalisent sur le geste de compétition.


La course, plus qu’une activité quotidienne, un exutoire à la misère. La course est omniprésente au Kenya. Les réseaux et infrastructures de transports étant moins développés, courir a longtemps été LE moyen de déplacement. Comme le souligne Carmen Oliveras : « les enfants courent tout le temps : pour aller à l’école ils courent parfois jusqu’à 6km aller puis 6km retour, pour jouer ils courent… si bien qu’arrivés à l’âge de l’entrainement ils ont déjà l’endurance, ils n’ont plus qu’a développé la technique. ». Au Kenya, la perception de la course n’est pas la même qu’en Europe ou aux Etats  Unis. A la question : « Pourquoi courez-vous ? » ou encore « Que représente la course pour vous ? », les coureurs d’origines américaines ou européennes vont y associer des valeurs hédonistes liées au développement personnel : le  « dépassement de soi », la « force du mental », « le plaisir de courir ». Les coureurs africains voient dans la course une possibilité d’ascension sociale, de réussite et bien souvent la clef d’une vie meilleure.

 

Duncan Perillat, jeune espoir du 3000m steeple francais, s’est entrainé au Kenya et confirme que: « Les Kenyans […] sont obligés de courir pour vivre » pour acquérir reconnaissance, richesse et confort. Cette tendance s’est amplifiée avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme le Qatar qui s’est offert les foulées des kenyans qu’il a intégré dans sa réserve d’athlètes de haut niveau. Le Kenyan Stephen Cherono est ainsi devenu Saif Saaeed Shaheen en 2003 en échange de 1 million de dollar, une rente a vie de 1000 dollar et la construction d’un centre d’entrainement au Kenya…

Les coureurs kenyans : vers l’infini et au-delà ?


Le Kenya aborde un tournant majeur dans sa structure. Bien que son essor économique soit relatif, le secteur du BTP croit fermement, ce qui transparaît déjà dans les transports. A terme cela fera de la course une activité désuète. « Lorsque cette connexion [entre le mode de vie traditionnel et la course, ndl ] disparaît […] il n’y a plus d’athlétisme. ». Outre ce changement matérielles, les aspirations des jeunes ne sont plus les mêmes, dans un pays aux opportunités professionnelles qui se multiplient, l’athlétisme n’est plus la voie économique croissante : "Au Kenya, tout le monde ne court pas, mais cela fait partie intégrante du mode de vie. Avant les gens couraient pour gagner leur vie. Maintenant, il y a tellement de nouvelles options" explique John Kimaiyo, ex coureur devenu force d’élite de l’ambassade américain à Bagdad, avant de poursuivre : « "Si j’avais une voiture, j’amènerais mes enfants à l’école ,car je ne veux pas qu’ils courent comme j’ai couru". Il est difficile de prédire ce qu’il adviendra de la course au Kenya. Elle est ancrée si profondément dans les mœurs et la culture du pays, qu’il est peu probable qu’elle disparaisse. Pour autant restera-t-elle la primauté du Kenya ?